USA: La perspective du bas-empire
Prophétique Satyricon
Les États-Unis, c’est le cinéma. Plutôt, le cinéma est devenu ce que les États-Unis ont rêvé, voulu, décidé d’en faire. Or dans ce pragmatique cinéma américain, les films prophétiques sont rares. Bien sûr, un criminologue signalera le visionnaire Touch of Evil (La soif du mal) d’Orson Welles qui, tourné en 1957, contient tout ce qui advint trente ans après, voire plus : l’explosive frontière mexicaine… attentats à la bombe… stupéfiants… guerres ambiguës entre flics ripoux et bandes de trafiquants. L’œuvre prophétique est ainsi celle qui devient compréhensible, limpide, seulement plusieurs décennies plus tard.
Mais les États-Unis ne sont pas seulement acteurs du cinéma : ils en sont aussi le sujet, le miroir. Là, à voir l’Amérique de 2020, force est de revenir à ce que F. Fellini dit de son Satyricon lorsqu’il paraît en 1970 : pour lui, ce n’est pas du tout un péplum historique, mais un film de science-fiction projeté vers le passé. Car lorsque Fellini tourne ce film, en 1969, l’Europe vit à fond les retombées de la libération sexuelle des États-Unis ; son délire d’expériences psychédéliques.
Poème monstrueux sur d’obscures pulsions de l’âme ; film-médium où, parmi les cadavres, dans une lumière de fin du monde, des monstres vivent une débauche au goût de mort. Film préchrétien pour ère postchrétienne, le Satyricon repère une secrète entente entre l’antique Rome et le monde de demain. Un monde — plutôt, une Amérique — alors dans l’insatiable quête de plaisirs, où la sexualité est seule motivante. Amérique-monde où les valeurs traditionnelles s’estompent ; où tout le monde parle des langues différentes ; où nul n’écoute vraiment ce que disent les autres — déjà.
Aux États-Unis, la première du Satyricon se tient début 1970 à New York, à 1 h du matin, après un concert de rock. Dans la salle, des hippies se droguent et s’accouplent au vu de tous. Là, Fellini comprend sa propre œuvre — et le dit lui-même : « Satyricon semblait avoir trouvé son site naturel, de façon imprévisible et mystérieuse » ; une « entente secrète, des liens subtils » entre le lointain passé et ce qu’il adviendra bientôt de l’Amérique.
Or un mois plus tôt, le rêve a déjà viré au cauchemar, lors du concert des Rolling Stones à Altamont (Cal., 6 décembre 1969). Cela, Fellini l’ignore bien sûr — son film est fini quand éclate ce drame qui anticipe, là encore, l’avenir des États-Unis : violence, homicides, anarchie plus bons sentiments, stupéfiants, crises sauvages sans motif clair.
Ainsi, le Satyricon prévoit l’avenir de l’Amérique comme bas-empire loin, très loin, du Summer of Love ; dans l’hallucination, Fellini rêve une société vouée au hasard, sans direction ni valeurs communes, sans foi réelle — presque sans conscience — toujours violente, derrière l’hypocrisie capitaliste des uns et le rousseauisme-défonce des autres.
De Meredith Hunter à George Floyd…
Accéléré-avant à l’automne 2020. Entre-temps, est apparu le « cybermonde ». Comme toujours dans l’histoire humaine, quand un continent — mieux, un monde — nouveau apparaît, l’homme (européen, puis occidental) l’investit puis y porte ses querelles — son histoire :
« Chaque fois qu’une nouvelle percée des forces historiques, qu’une explosion d’énergies nouvelles introduit de nouveaux pays ou de nouvelles mers dans le champ de la conscience humaine, les espaces de l’existence historique se déplacent aussi ». Carl Schmitt
Quelles querelles, et quelle histoire. Avant de les dépeindre pour les comprendre, ceci : la criminologie ne vit pas sous cloche. Au-delà de l’objet même de son étude, cette discipline doit labourer sans cesse le « champ préalable d’inspection » qui l’environne.
L’étude qui suit arpente les limites, les bornes, du champ préalable d’inspection où évoluent déjà peu ou prou, demain pire peut-être, les États-Unis ; jusqu’à ce qu’ils surmontent la présente crise — ou se disloquent.
Étude réalisée par Xavier Raufer – Criminologue
Étude publiée par la Fondation Patriotes pour l’Europe