L'État de droit dans les conflits entre Bruxelles et le couple polono-hongrois
Il n’avait jamais été autant question d’État de droit...
Il n’avait jamais été autant question d’État de droit et de « valeurs européennes » en Europe que depuis que les électeurs ont amené au pouvoir des gouvernements conservateurs en Hongrie et en Pologne. L’arrivée au pouvoir de la coalition du Fidesz et du KDNP chrétien-démocrate en 2010 en Hongrie, puis de la « Droite unie », coalition conduite par le parti Droit et Justice (PiS), en 2015 en Pologne, aura marqué le début d’une multiplication des conflits entre Bruxelles et les deux capitales. Une autre coalition menée par le PiS en 2005-2007 à Varsovie avait d’ailleurs déjà donné un avant-goût des réactions que pourrait susciter, au sein de l’Union européenne, l’arrivée au pouvoir d’un gouvernement conservateur dans un des anciens pays d’Europe de l’Est ayant rejoint le bloc en 2004.
Si les reproches adressés aux deux pays de cette ancienne Europe de l’Est, qui avaient, par leur résistance, le plus contribué à la chute du communisme et à la dislocation de l’empire soviétique, ne sont pas identiques, ils présentent de nombreuses similitudes. Comme la Pologne, la Hongrie a été critiquée pour les réformes de sa Cour constitutionnelle et de son système judiciaire. Cependant, plus que les gouvernements polonais de Beata Szydło en 2015-2017, puis de Mateusz Morawiecki depuis décembre 2017, le gouvernement de Viktor Orbán avait choisi, au début des années 2010, de reculer sur certains points pour éviter la confrontation frontale. Il n’empêche que ses réformes de la justice sont toujours critiquées à Bruxelles, comme on peut le voir dans la résolution du Parlement européen de septembre 2018 qui a activé la procédure de sanction de la Hongrie sous le régime de l’article 7 du traité sur l’Union européenne, et aussi dans les rapports annuels de la Commission, publiés depuis 2020, sur l’État de droit dans l’UE.
Avec la Pologne, la dispute avec Bruxelles a néanmoins été plus loin et semble aujourd’hui rendre la confrontation frontale difficilement évitable, avec deux verdicts du Tribunal constitutionnel de Varsovie délivrés en 2021, qui posent les limites de la juridiction de la Cour de Justice de l’Union européenne sur le territoire polonais, en rappelant que l’organisation de la justice ne fait pas partie des compétences transférées à l’UE en vertu des traités européens, et en réaffirmant la primauté de la Constitution polonaise sur les jugements de la CJUE dans les domaines n’ayant pas fait l’objet d’un transfert de souveraineté.
En relation avec ces verdicts, le 19 octobre 2021, dans son discours à la plénière du Parlement européen sur la crise de l’État de droit en Pologne et la primauté du droit de l’Union, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen a déclaré : « Le gouvernement polonais doit nous expliquer comment il entend protéger l’argent européen au vu de la décision rendue par son tribunal constitutionnel. Car, dans les années à venir, nous investirons 2 100 milliards d’euros avec le budget pluriannuel et le programme de relance NextGenerationEU. Il s’agit de l’argent des contribuables européens. Et si notre Union investit plus que jamais pour soutenir notre relance collective, nous devons protéger le budget de l’Union contre les violations de l’État de droit. »
La principale pierre d’achoppement, c’est la chambre disciplinaire de la Cour suprême polonaise, qui est une cour de cassation et dont la CJUE a ordonné la suspension, ce pour quoi le Tribunal constitutionnel polonais estime que la CJUE est sortie des compétences conférées à l’UE par les traités et viole ainsi la constitution polonaise, qui ne prévoit pas la possibilité pour les institutions européennes d’interférer dans l’organisation du système judiciaire national ni d’ordonner la suspension de tribunaux nationaux.
Étude publiée par la Fondation Patriotes pour l’Europe