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Révolte en Turquie : vers un tournant politique majeur ?
Depuis une semaine, la Turquie est marquée par des manifestations massives dans tout le pays. Des millions de personnes, y compris dans la diaspora et à Chypre du Nord, sont descendues dans la rue pour exiger la libération d’Ekrem İmamoğlu, maire d’Istanbul et leader de l’opposition, arrêté le 19 mars dernier. Cette crise marque-t-elle un tournant politique majeur pour la Turquie ?
Ecoutez l’analyse complète de Raphaël Audouard ci-dessous:
Qui est Ekrem İmamoğlu et pourquoi a-t-il été arrêté ?
Ekrem İmamoğlu est maire d’Istanbul depuis 2019 et membre du Parti républicain du peuple (CHP), un parti nationaliste de gauche, laïc et social-démocrate fondé par Mustafa Kemal Atatürk, le père de la République turque. Il incarne aujourd’hui la principale figure de l’opposition au président Recep Tayyip Erdogan. Son arrestation, officiellement justifiée par des accusations de corruption et de liens avec le PKK (organisation armée kurde classée comme terroriste), semble être un prétexte pour écarter un rival politique redoutable. İmamoğlu devait en effet être désigné candidat de l’opposition pour les élections présidentielles de 2028.
La Turquie est un pays profondément divisé. Fondée en 1923 comme une république laïque, la Turquie a connu une lente réislamisation sous Erdogan depuis 2003. Toutefois, une grande partie de la population demeure attachée à la laïcité. L’opposition entre laïcs et islamistes transcende le clivage gauche-droite et inclut aussi la question kurde : environ 15 à 20 % des Turcs sont Kurdes, et le nationalisme kurde, d’extrême gauche, complique encore davantage la situation.
Ekrem İmamoğlu, nationaliste de gauche issu d’une famille conservatrice, est capable de rallier la gauche laïque, la droite laïque et l’extrême gauche kurde. Sa popularité ne cesse de croître, comme en témoignent les 15 millions de votants à la primaire de l’opposition. La Turquie est aujourd’hui divisée en deux blocs électoraux presque égaux, et Erdogan se retrouve de plus en plus fragilisé.
Pourquoi la popularité d’Erdogan est-elle en baisse ?
Trois raisons principales expliquent cette perte de popularité :
- Usure du pouvoir et crise économique : après plus de vingt ans au pouvoir, Erdogan peine à répondre à la crise économique qui frappe le pays.
- Contradictions internes : élu comme un modéré, il s’est radicalisé progressivement, ce qui l’expose au risque de perdre les électeurs modérés tout en frustrant les plus radicaux.
- Montée d’une opposition nationaliste et islamiste : à côté du CHP, des formations d’extrême droite, comme le Parti de la Prospérité (islamiste) et le Parti de la Victoire (nationaliste), contestent également son pouvoir.
Le conflit en Syrie et la présence de millions de réfugiés alimentent les tensions et renforcent ces oppositions.

crédit photo : dia images/Getty image
Répression violente des manifestations et avenir de la Turquie
Plus de 1 000 manifestants ont déjà été arrêtés et une censure stricte s’est abattue sur les médias et les réseaux sociaux. Cette répression indique la crainte du régime face à une contestation massive. Erdogan semble vouloir faire basculer la Turquie d’une démocratie autoritaire à un régime purement autoritaire. Cette perspective inquiète une large partie de la population, qui se mobilise pour défendre ses libertés.
Plusieurs scénarios sont envisageables :
- Un effondrement du pouvoir d’Erdogan : peu probable mais pas impossible si la contestation s’amplifie.
- Un renforcement de la dictature : une possibilité réelle si Erdogan réagit par une répression accrue.
- Un pourrissement progressif du régime : une impasse politique qui pourrait mener à des affrontements internes.
La coalition qui manifeste aujourd’hui rassemble des forces diverses : laïcs de gauche, nationalistes et extrême gauche kurde. La question clé est de savoir si une alternative crédible à Erdogan peut émerger. Un retour à l’idéal kéméliste, plus proche de l’Europe et débarrassé de l’impérialisme turc, pourrait être une voie d’avenir pour la Turquie. L’avenir politique du pays est plus incertain que jamais.