Financement de la Turquie d'Erdogan par l'UE
Un scandale politique-économique depuis 20 ans
Plus personne ne croit à une adhésion pleine de la Turquie à l’Union Européenne telle qu’elle existe aujourd’hui. Pourtant, les versements de milliards d’euros de la part de l’UE se poursuivent. Car l’assistance financière de l’Union Européenne possède sa propre « logique ». En fait, elle est totalement indépendante du politique, c’est-à-dire des négociations d’adhésion avec Ankara.
Selon Claire Visier, politologue, spécialiste des relations UE-Turquie et enseignante à l’université de Rennes : « J’ai vraiment été étonnée de découvrir deux mondes hermétiques l’un à l’autre. Les agents turcs, comme européens, en charge ou travaillant dans les projets financés sur fonds européens, ne savent parfois même pas quels chapitres sont ouverts à la négociation et n’en connaissent pas les critères politiques. »
Malgré le blocage des négociations sur des chapitres concernant « l’acquis communautaire », le financement de la Turquie continue sans poser la question. Ce n’est pas parce que l’Union Européenne a mis son veto sur plusieurs chapitres que le domaine concerné par ces chapitres n’a pas reçu et ne reçoit pas d’aides financières de l’UE. De même, ce n’est pas parce que la Turquie refuse d’ouvrir un chapitre qu’elle ne reçoit pas de subventions pour ce chapitre.
La société civile
C’est une des priorités déclarées de l’Union Européenne, qui concerne le soutien de la société civile et des ONG travaillant dans le domaine des Droits de l’Homme. Mais 82 % des fonds européens destinés à cette « société civile » transitent via les ministères turcs, c’est-à-dire via le gouvernement d’Erdogan.
« Que la Turquie progresse ou non dans ses réformes et dans sa démocratisation, elle reçoit l’argent. Il y a sans conteste des rentes administratives, certains ministères gérant des projets lourds et extrêmement coûteux. Les fonds ont bénéficié à l’État turc et lui ont même permis d’étendre son périmètre d’action. Ce qui peut en revanche poser problème en cas de vampirisation de l’État par le pouvoir en place », rappelle Claire Visier.
Les sociétés de consulting
L’argument que les bureaucrates de Bruxelles utilisent pour justifier la continuation du financement de la Turquie d’Erdogan est que, si l’Union Européenne arrêtait ces virements, elle perdrait l’un des seuls leviers d’action qu’elle peut théoriquement activer sur la scène administrative et sociale turque. Selon Claire Visier : « Si l’UE suspendait des financements, elle perdrait un “retour sur investissement” car une bonne partie de l’argent que Bruxelles donne à la Turquie revient à l’Europe, puisqu’il sert à financer l’envoi d’experts européens ou les actions de nombreuses sociétés européennes de consulting. »
Les purges
À la suite de la tentative de coup d’État (du 15 juillet 2016), les financements européens (voir IAP II) ont cependant baissé, mais d’abord et avant tout à cause des purges administratives. Un certain nombre de fonctionnaires (proches de la Confrérie Fethullah Gülen selon les procureurs turcs), compétents en matière de financements européens, ont été limogés. Par conséquent, l’État turc n’a plus été en mesure d’assurer le suivi rigoureux des financements européens.
Étude publiée par la Fondation Patriotes pour l’Europe