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Le pari industriel de Georgia Meloni : entre libéralisme et souveraineté

Marco Malaguti
Marco Malaguti est chercheur en philosophie, chroniqueur et blogueur. Ses travaux se concentrent sur l'éducation, la philosophie et la politique de l'Europe centrale. En tant que chercheur associé au Centro Studi Politici e Strategici Machiavelli, une de nos fondations membres, il apporte une expertise précieuse sur des thématiques liées aux idées et aux dynamiques culturelles et politiques de cette région.
Dans la situation complexe que traverse actuellement l’Union européenne — prise en étau entre les conséquences de la guerre en Ukraine et les contraintes du Pacte vert imposé par la Commission européenne — le gouvernement italien a tenté de mettre en œuvre une approche alliant discipline budgétaire, incitations à la production et réindustrialisation, tout en respectant les principes de l’économie de marché.
Un libéralisme sélectif : entre rigueur budgétaire et intervention de l’État
Depuis son entrée en fonction le 22 octobre 2022, Giorgia Meloni a clairement affiché son cap économique. Après des années de gouvernements technocratiques alignés sur Bruxelles, l’économie italienne réclamait des réformes urgentes. Avec le soutien du ministre de l’Économie Giancarlo Giorgetti, Meloni a redéfini les priorités économiques du pays. Elle respecte formellement les critères européens, tout en les réinterprétant dans une optique d’intérêt national, en plaçant la santé de l’économie italienne et sa réindustrialisation au premier plan.

Credit photo : Antonio Masiello / Getty Images
Ce positionnement s’inscrit dans la ligne idéologique de son parti, qui prône depuis longtemps une approche recentrée sur les économies nationales plutôt qu’un suivisme aveugle vis-à-vis de Bruxelles. Pour une économie fortement exportatrice comme l’Italie, le défi est de concilier ouverture commerciale et souveraineté : un libéralisme national, à l’opposé du libre-échange globaliste illimité.
Tous les gouvernements italiens de la Seconde République ont buté sur le même dilemme : comment conjuguer rigueur budgétaire et allègements fiscaux ? Les entreprises italiennes subissent une fiscalité écrasante, avec un taux d’imposition global à 27,9 % (IRES 24 % + IRAP moyenne de 3,9 %), soit près de 8 points au-dessus de la moyenne OCDE (20 %).
Or, depuis la procédure de déficit excessif engagée en 2024, le gouvernement Meloni a ramené le déficit public de 7,2 % (2023) à 2,8 % (prévision 2025), respectant ainsi les critères de Maastricht. Cela est dû principalement à la suppression de deux mesures coûteuses adoptées par le gouvernement Giuseppe Conte : le Superbonus 110 % et le Bonus Façade, qui avaient fortement creusé les dépenses publiques.

Fiscalité industrielle et relocalisation des entreprises italiennes
Pour relancer la compétitivité, le gouvernement s’attaque à la pression fiscale. Ainsi, l’IRES peut être réduite de quatre points pour les entreprises qui réinvestissent au moins 30 % des bénéfices de l’année précédente. Cette mesure a été saluée par la Confindustria. En parallèle, les nouvelles entreprises artisanales et TPE bénéficieront d’une réduction de 50 % des cotisations à l’INPS pendant quatre ans.
Mais la compétitivité passe aussi par le rapatriement des entreprises ayant délocalisé. Dès le départ, la politique industrielle de Meloni s’est donnée pour objectif ce « reshoring », comme l’a déclaré le ministre Adolfo Urso :
« À l’ère de la démondialisation, nous devons penser à relocaliser les entreprises. »
Une mesure clé a été introduite : une réduction de 50 % de l’assiette imposable pour les entreprises revenant de pays hors UE. Elle permet de maintenir de bonnes relations avec les pays d’Europe de l’Est — où de nombreuses entreprises italiennes se sont installées — tout en limitant les transferts de richesses et de savoir-faire vers la Chine et le Sud global.
Résultat : l’Italie a accru son excédent commercial avec les États-Unis (34,7 Mds €), notamment grâce à l’ingénierie mécanique (10,8 Mds €), l’agroalimentaire (7 Mds €), le textile (5 Mds €) et l’automobile (3,5 Mds €). Elle dépasse désormais le Japon et devient la 4e puissance exportatrice mondiale avec environ 316 Mds € d’exportations.

Industrie 5.0 : la voie italienne vers la durabilité
Le gouvernement entend protéger les forces industrielles historiques du pays (mécanique, textile) sans négliger les secteurs clés : agroalimentaire, automobile de luxe, industries high-tech. Attirer des investissements tout en utilisant le mécanisme du « golden power » — qui permet à l’État de bloquer l’acquisition d’actifs stratégiques — fait partie intégrante de cette stratégie de souveraineté économique.
Les investissements dans la défense (Fincantieri, Leonardo) jouent un rôle central dans cette relance industrielle. Concernant l’automobile, secteur d’excellence, le gouvernement s’est opposé à la politique européenne sur le véhicule électrique. Le 11 avril, l’Italie a officiellement demandé la suspension du Pacte vert dans ce domaine, dénonçant une approche dogmatique et punitive. Selon Rome, ce pacte favorise indirectement les concurrents extérieurs à l’UE, peu concernés par l’alarmisme climatique européen.
En somme, l’approche de Meloni représente une tentative — encore partielle — de relancer l’industrie italienne, en convergence avec la stratégie de la nouvelle administration Trump, qui vise à découpler l’économie des dépendances orientales et à restaurer la souveraineté technologique. Comme toujours, c’est le marché qui tranchera.