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La réponse de l’Europe à Donald Trump : Make Europe Great Again !

David Engels
David Engels est un historien belge, professeur dans différentes universités européennes. Il a publié un grand nombre d’ouvrages, traduits en plusieurs langues sur la crise de l’identité européenne, sur l’Antiquité, la philosophie de l’histoire, le comparatisme culturel et le conservatisme moderne. Il est notamment l’auteur du livre Le Déclin (éditions du Toucan), de Que faire ? (réédition à la Nouvelle Librairie) et de Défendre l’Europe civilisationnelle (éditions Salvator).
Donald Trump est entré en fonction il y a plus de trois mois maintenant et il a déjà changé le monde tel que nous le connaissions. Une analyse critique de ce qui s’est passé dans la mesure où cela concerne l’avenir de l’Europe.
Analyser les cent premiers jours de la présidence de Donald Trump comporte de nombreux défis : la brièveté de la période en question, le comportement apparemment erratique du président et, enfin, la difficulté pour un Européen conservateur d’évaluer objectivement Trump tout en gardant à l’esprit les intérêts subordonnés de son propre continent. Cette analyse se concentrera sur plusieurs domaines clés : La position de Trump sur la guerre en Ukraine, sa politique commerciale, sa lutte contre le wokeisme, sa purge de l’administration et son alliance avec Elon Musk.
Des Nations unies aux sphères civilisationnelles
Concernant la guerre en Ukraine et la politique étrangère de Trump, malgré une certaine nonchalance diplomatique, il est clair que le nouveau président cherche à remplacer l’unilatéralisme et l’internationalisme pratiqués auparavant par les États-Unis par une vision multipolaire centrée sur de grandes zones d’influence, essentiellement l’Amérique, la Russie et la Chine.
La notion de grande famille internationale de 200 nations évoluant toutes vers plus de liberté et de démocratie sous l'hégémonie bienveillante de Washington est supplantée par une logique de puissants blocs civilisationnels, largement indifférents à des concepts tels que l'« humanité » ou le « droit international ».
La notion d’une grande famille internationale de 200 nations cheminant ensemble vers plus de liberté et de démocratie sous l’hégémonie bienveillante de Washington est supplantée par une logique de blocs civilisationnels puissants, largement indifférents à des concepts tels que « l’humanité » ou le « droit international ».
Dans ce cadre, l’Europe ne joue qu’un rôle secondaire, voire antagoniste, comme en témoigne l’ambition de Trump d’annexer le Groenland pour étendre l’espace stratégique des États-Unis. Si cette logique devait conduire à laisser la Russie étendre son influence non seulement sur l’Ukraine, mais aussi sur la région baltique et même l’Europe centrale, cela pourrait pousser l’Europe à s’allier avec la Chine, bouleversant ainsi l’ordre géopolitique établi.
La même tendance est visible dans la politique commerciale de Trump, marquée par de nombreux revirements. Ce qui est clair, c’est que Trump vise à protéger l’industrie nationale par des droits de douane punitifs, principalement à l’encontre de la Chine. Cependant, ses déclarations tonitruantes initiales ont été rapidement atténuées face à des réactions très négatives des marchés, révélant une approche plutôt improvisée, malgré une inclination inquiétante à provoquer délibérément une grave crise mondiale au service de son agenda « America First ». Outre la Chine, c’est surtout l’Europe qui semble dans le viseur de Trump, nourrissant un ressentiment croissant parmi de nombreux Européens à l’égard des États-Unis et contribuant à la formation progressive d’un bloc anti-Trump. Ce bloc inclut non seulement l’Europe, la Chine et le Canada (également ciblé par des droits de douane et des projets d’annexion), mais aussi le Japon et la Corée du Sud.

Photo credit : Kevin Carter, Getty Images North America
La guerre contre le wokisme
Cela dit, Trump ne considère pas l’Europe uniquement sous un angle stratégique ou commercial, mais aussi idéologique. À l’exception de quelques alliés comme la Hongrie de Viktor Orbán, il associe largement l’Union européenne aux positions des démocrates américains, qui exercent une influence importante en Europe à travers de puissants réseaux transatlantiques. Les conservateurs européens se retrouvent ainsi piégés : bien qu’ils partagent de nombreuses positions idéologiques de Trump — notamment en matière de famille, de culture, de religion et de politique migratoire —, leurs pays subissent malgré tout le choc entre deux systèmes idéologiques et zones d’influence politique.
Ce malaise est renforcé par un sentiment de ressentiment face à la couverture médiatique massivement négative de Trump en Europe : pour lui, affaiblir l’Union européenne représente probablement une dimension supplémentaire de sa lutte acharnée contre l’idéologie « woke », longtemps protégée, voire encouragée, par l’appareil d’État américain.
Le principal instrument de cette stratégie — mise en œuvre par des coupes budgétaires ciblées et une profonde réorganisation administrative — est le programme « DOGE ». Officiellement destiné à rationaliser l’administration et à répondre aux attentes des électeurs libertariens, il vise en réalité à purger les élites largement dominées par la gauche démocrate. Ce radicalisme est présenté comme une réponse à la pression omniprésente de l’idéologie « woke » dans tous les aspects de la vie américaine. Il soulève néanmoins des inquiétudes légitimes quant au respect des institutions — d’autant plus que des dynamiques similaires émergent en Europe, quoique dans le camp opposé, comme en témoigne le conflit entre le gouvernement libéral de Tusk et les conservateurs polonais.
Dans l’ensemble du monde occidental, l’idée d’un « état d’urgence idéologique » justifiant des mesures d’exception semble gagner du terrain — avec toutes les conséquences que cela implique.
Dans l’ensemble du monde occidental, l’idée d’un « état d’urgence idéologique » justifiant des mesures d’exception semble gagner du terrain — avec toutes les conséquences que cela implique.
Cela nous amène enfin à l’alliance entre Trump et Elon Musk. Malgré ses hauts et ses bas, le rôle croissant du milliardaire dans la vie politique américaine est préoccupant. Du contrôle de l’opinion publique à l’exploration spatiale, de l’électromobilité aux interfaces neuronales, Musk occupe un espace où les sphères publique et privée se confondent dangereusement — une fusion qui ouvre la voie à une forme de « césarisme » moderne aux conséquences potentiellement considérables sur le long terme, en remplaçant ouvertement les vestiges du principe démocratique par le pouvoir économique.
MAGA et MEGA
En conclusion, Make America Great Again (« MAGA ») et Make Europe Great Again (« MEGA ») ne sont que partiellement compatibles. En tant que conservateur européen, on peut éprouver de la sympathie pour plusieurs aspects de la politique intérieure de Trump tout en regardant sa politique étrangère avec une inquiétude croissante. Il peut être douloureux, pour certains, de réaliser qu’un allié idéologique peut néanmoins poursuivre des intérêts stratégiques diamétralement opposés. Car ce qui motive la politique étrangère de Trump, ce n’est pas la défense d’un nouvel ordre mondial fondé sur des valeurs conservatrices, mais une doctrine des grands espaces politiques, qui ne respectent les autres que dans la mesure où ceux-ci égalent leur force — et sont autrement prêts à les écraser ou les annexer. Les Européens, éternellement indécis et désunis, pourraient bien en faire les frais.