- Europe
- Politique
Élections législatives aux Pays-Bas : le triomphe des patriotes
C’est un véritable tremblement de terre qui vient de secouer la vie politique des Pays-Bas. Alors que pendant des années les commentateurs annonçaient la fin des patriotes néerlandais, le Parti pour la Liberté (PVV) du populiste Geert Wilders vient de remporter une victoire historique lors des élections législatives du 22 novembre. Dans un pays de plus en plus touché par l’islamisme et l’insécurité, le discours franc du PVV, membre du Parti Identité et Démocratie, a su convaincre près d’un électeur sur quatre.
Un système politique néerlandais fracturé et instable
La vie politique néerlandaise est l’une des plus instables d’Europe. Tout d’abord du fait du nombre de partis représentés à la Chambre des représentants, l’Assemblée nationale néerlandaise. Une quinzaine de listes sont parvenues à faire élire des députés à la Chambre en 2023 du fait d’un système d’élection à la proportionnelle sans seuil qui permet l’entrée de tout parti dépassant les 0,5%. On peut ainsi trouver au Parlement néerlandais des animalistes, des représentants du troisième âge, des fondamentalistes protestants ou encore des islamistes. Et le système de vastes coalitions majoritaires permet à certains de ces partis marginaux de rejoindre des gouvernements pour faire entendre leurs préoccupations sectorielles. Il n’est pas rare qu’un petit parti viennent ajouter ses 1 ou 2 députés à une coalition et échange de l’application d’une ou deux mesures de son programme. Ce système favorise la création de petites formations politiques et l’éclatement du paysage politique du pays.
Par ailleurs, il n’est pas rare que des partis émergent d’un seul coup lors d’une élection, ou entre deux élections, pour disparaitre tout aussi rapidement. Entre les élections de 2021 et celles de 2023, les paysans du Mouvement agriculteur–citoyen (BBB) fondé en 2019 puis les démocrates-chrétiens du Nouveau contrat social (NSC) crée en 2023 sont devenus la première force politique du pays dans les sondages à chaque fois pendant quelques mois avant de retomber pour finalement laisser lors des élections la première place au PVV, un parti qui avait pourtant échoué à faire élire le moindre eurodéputé en 2019.
Un gouvernement de centre-droit victime des réfugiés
Dans ce contexte politique fragmenté, trois forces politiques ont longtemps dominé la vie politique néerlandaise. A droite, les libéraux, divisés entre les libéraux-conservateurs du Parti populaire pour la liberté et la démocratie (VVD) et les sociaux-libéraux de Démocrates 66 (D66), tous deux membres du Parti de l’Alliance des libéraux et des démocrates pour l’Europe. Au centre, les démocrates-chrétiens de l’Appel chrétien-démocrate (CDA) représentant néerlandais du Parti populaire européen. Et à gauche, les sociaux-démocrates du Parti travailliste (PvdA) affilié au Parti socialiste européen. Ces trois familles politiques se sont succédé au pouvoir pendant des décennies. En 2021, elles représentaient plus de 60% de l’électorat. Les élections de 2021 furent un triomphe pour les libéraux, le VVD confirmant sa place de premier parti du pays et D66 devenant le second. Les démocrates-chrétiens furent relégués à la quatrième place tandis que le PvdA franchissait difficilement la barre des 5% continuant ainsi la descente aux enfers de la gauche social-démocrate commencée en 2017. Les deux partis libéraux formèrent un gouvernement avec la CDA et un petit parti conservateur chrétien. Le libéral, Mark Rutte, président du VVD semblait pouvoir conserver pour encore longtemps son poste de premier ministre acquis en 2010.
Mais deux ans plus, le gouvernement s’effondrait et le charismatique chef des libéraux prenait sa retraire politique. La faute à un sujet de taille : l’immigration de masse qui touche le pays. Conscient du mécontentement grandissant à ce sujet dans la population, Mark Rutte avait fait opérer un virage à droite à son parti et avait défendu des mesures visant à réduire l’immigration. Mais ce virage n’a pas été suivi par ses alliés et une proposition de loi visant à restreindre le droit d’asile et le regroupement familial pour les réfugiés a fracturé sa coalition menant finalement à la chute de son gouvernement, à son retrait de la vie politique et à de nouvelles élections.
Les patriotes néerlandais portés par le vent du changement
Ces élections furent marquées par un profond renouvellement politique. Les leaders du VVD, de D66, du CDA, du PvdA et de la Gauche Verte (GL) furent remplacés avant les élections. Les socialistes et les écologistes annoncèrent une coalition, première étape d’une possible fusion des deux partis. De leur côté, les démocrates-chrétiens connurent une scission, l’un de leur plus populaires leaders quittant le CDA pour fonder le Nouveau contrat social (NSC). Finalement, le vent du changement ne souffla pas en faveur de ces figures certes nouvelles mais représentant les vieilles politiques. Il porta en tête des suffrages Geert Wilders et son PVV qui obtint 23,7% des voix. Le Parti pour la Liberté fait figure d’OVNI au sein des patriotes européens. Il se distingue à la fois des patriotes de droite opposés à l’immigration au nom de la défense de la civilisation européenne et des cultures nationales et des patriotes de gauche dénonçant une immigration augmentant le chômage et menaçant les salaires. Geert Wilders incarne ce que certains politologues appellent « l’hédonisme sécuritaire » et dénonce une immigration venant de pays conservateurs, et notamment musulmans, qui menace le mode de vie progressiste et libéré des européens. Bien qu’opposé au wokisme, il incarne un patriotisme progressiste, voir libertaire, et attaché à la modernité. Il est aussi un grand ami et défenseur d’Israël et entretient de bonnes relations avec les nationalistes laïcs de l’état hébreux comme Israel Beytenou. Cette victoire est double pour le PVV. Il remporte son combat contre les forces du système en devenant le premier parti du pays. Et il s’impose aussi dans son duel face à l’autre force patriote du pays, le Forum pour la démocratie (FvD), un parti national-conservateur affilié au Parti des conservateurs et réformistes européens qui avait pris sa place de premier parti patriote lors des européennes de 2019. Avec 2% des voix, le jeune parti fondé en 2016 voit ses rêves de remplacer le PVV s’envoler.
Du côté des partis du centre, une recomposition est à l’œuvre. Si leur score cumulé ne diminue que peu, ils continuent à représenter 55% de l’électorat, le rapport de force en leur sein s’est transformé. Les libéraux sont les grands perdants de cette élection. Le VVD perd sa place de premier parti pour devenir troisième avec 15,2% des voix tandis que les Démocrates 66 s’effondrent à 6,2%. Le tournant anti-immigration du VVD ne lui aura pas permis de stopper la montée des patriotes. Pire l’annonce de sa nouvelle présidente, Dilan Yeşilgöz-Zegerius figure de l’aile droite du parti, qu’elle n’était pas fermée à l’idée de gouverner avec le PVV a participé à dédiaboliser le parti en rompant un cordon sanitaire jusque-là indépassable. Chez les démocrates-chrétiens le succès est relatif et amer. Le CDA sort extrêmement affaibli de la scission et devient un parti marginal avec 3,3% des voix. Et sa scission, le NSC, échoue à devenir une force de premier plan en n’obtenant que 12,9% des voix, le score du CDA en 2017. Le seul vrai vainqueur de cette élection, outre les populistes, est la coalition de gauche entre les socialistes et les écologistes. Celle-ci devient la deuxième force du pays avec 15,6% des voix, derrière les patriotes mais devant les libéraux. Avec l’affaiblissement des libéraux, la division des démocrates-chrétiens et la renaissance de la gauche, le centre de gravité au sein du bloc central s’est déplacé vers la gauche.
Vers une union des centristes contre les patriotes
Malgré cette victoire des patriotes, il sera difficile pour Geert Wilders et ses amis de former un gouvernement. Les principaux partis du pays ont d’ores et déjà annoncé qu’ils ne souhaitaient pas participer à un gouvernement dirigé par les patriotes, y compris les libéraux du VVD. Ces derniers sont néanmoins les moins radicaux dans leur rejet du PVV du fait du virage anti-immigration opéré depuis quelques années par sa direction mais même une alliance PVV-VVD n’aurait pas de majorité. Sauf coup de théâtre, les partis du système devraient s’allier pour bloquer l’accession au pouvoir des patriotes. Mais une coalition dirigée par la gauche et soutenue par le centre et les libéraux serait très bancale, tant les différences entre ces partis sont grandes, notamment sur la question de l’immigration. Et la politique d’un gouvernement VVD-D66-CDA-NSC-PvdA-GL risquerait de décevoir le peuple néerlandais et ses attentes en termes de lutte contre l’immigration et l’insécurité, tout en démontrant que l’opposition entre ces différents partis qui ont dominé pendant des années la vie politique du pays n’était que de façade. Il est donc à espérer qu’à défaut d’accéder au pouvoir, les patriotes néerlandais voient leur popularité encore augmenter dans les années à venir. Tout ne fait que commencer pour Geert Wilders et le Parti pour la liberté.
Raphaël Audouard