Contre Trump, le Canada se replie sur le progressisme

En avril 2025, Mark Carney, membre du Parti libéral comme Justin Trudeau, est élu Premier ministre du Canada. Sa victoire, portée par un nationalisme progressiste, répond aux tensions accrues entre le Canada et l’Amérique de Trump.
Un sursaut patriotique à gauche, inattendu mais décisif.

Ecoutez l’analyse complète de Raphaël Audouard ci-dessous: 

Une vie politique dominée par deux partis, bouleversée par une campagne inattendue

Le système politique canadien est traditionnellement structuré autour de deux grands partis : le Parti conservateur, situé au centre-droit, et le Parti libéral, au centre-gauche. Depuis 2015, c’est ce dernier qui est au pouvoir, mené par Justin Trudeau. S’il avait su incarner un renouveau à son arrivée, son second mandat a été marqué par une baisse importante de popularité. Les critiques ont porté autant sur son style que sur ses résultats, et à quelques mois des élections, les sondages donnaient les libéraux largement battus par les conservateurs — jusqu’à 20 points d’écart.

Face à cette situation critique, les libéraux ont opéré un virage stratégique majeur en remplaçant Justin Trudeau par Mark Carney. Ce haut fonctionnaire, économiste de formation passé par Harvard et Oxford, ancien banquier chez Goldman Sachs, a dirigé successivement la Banque du Canada et la Banque d’Angleterre. Son profil technocratique, rassurant et international, a redonné une crédibilité économique et une stature à la tête du parti. Dans les derniers mois de campagne, les libéraux ont connu une remontée spectaculaire, portée par une stratégie centrée sur la défense de la souveraineté canadienne face aux pressions extérieures.

Une victoire surprise nourrie par un nationalisme progressiste

Les résultats des élections ont confirmé cette dynamique : le Parti libéral a remporté le scrutin, contre toute attente. Les autres partis ont connu une déroute : le Nouveau Parti démocratique (gauche radicale) et le Parti populaire (droite populiste) ont été laminés, victimes du vote utile. À gauche comme à droite, les électeurs se sont recentrés autour des deux grands partis. Seuls les nationalistes québécois du Bloc ont résisté à cette bipolarisation.

Cette victoire s’explique en grande partie par l’effet provoqué par la victoire de Donald Trump aux États-Unis. Ses déclarations hostiles à l’égard du Canada — sur l’annexion du Canada ou l’augmentation des tarifs douaniers — ont provoqué une réaction patriotique. Cet « effet drapeau » a rassemblé l’électorat autour du Parti libéral, perçu comme le rempart face à une influence américaine perçue comme agressive.

Fait singulier : au Canada, le nationalisme est historiquement associé à la gauche. Alors qu’il était autrefois monarchiste et pro-britannique, le nationalisme canadien s’est transformé en un patriotisme progressiste, tolérant et multiculturel, s’opposant au conservatisme religieux et à l’individualisme américain. Les élites canadiennes revendiquent désormais un modèle social distinct : étatiste, inclusif, et ouvertement anti-trumpiste. C’est dans ce contexte que les libéraux sont apparus comme les défenseurs naturels de la souveraineté canadienne, renforçant leur légitimité et mobilisant largement leur base électorale.

Vers deux Occidents irréconciliables ?

L’élection canadienne ne peut se lire uniquement à l’échelle nationale. Elle s’inscrit dans une dynamique mondiale plus large, où l’influence américaine — en particulier celle de Donald Trump — polarise le champ politique occidental. Le cas canadien rejoint celui de l’Australie, où les travaillistes ont remporté les législatives le 3 mai dernier, alors qu’ils étaient eux aussi donnés perdants. Là encore, les déclarations de Trump sur les tarifs douaniers ont provoqué une réaction électorale en faveur de la gauche.

Un enseignement majeur émerge : les enjeux nationaux se mêlent désormais aux dynamiques géopolitiques. Les clivages politiques s’uniformisent dans tout l’Occident. Deux blocs se dessinent :

  • d’un côté, un camp libéral, progressiste et mondialiste, réunissant des pays comme le Canada, l’Australie, la France ou le Royaume-Uni sous certaines conditions ;
  • de l’autre, un camp populiste, conservateur et souverainiste, articulé autour des États-Unis de Trump, mais aussi de pays comme la Hongrie de Viktor Orbán ou l’Italie de Giorgia Meloni.

Ce clivage se cristallise à l’approche de nouvelles échéances électorales. En Roumanie, le candidat patriote a réalisé 40 % au premier tour de la présidentielle. Le Reform Party au Royaume-Uni, mené par Nigel Farage, a remporté les élections locales et domine les sondages, bousculant un bipartisme pourtant profondément enraciné. Ce week-end encore, la Pologne, la Roumanie et le Portugal voteront à leur tour : trois scrutins où les partis patriotes sont en pleine dynamique.

Loin d’être marginale, la victoire des libéraux canadiens illustre donc un phénomène global : la structuration du monde occidental autour d’un affrontement entre deux visions du monde. L’une portée par les élites progressistes, l’autre par les peuples patriotes. Le Canada, en se repliant sur un nationalisme de gauche, affirme clairement son appartenance au camp anti-Trump. Reste à savoir si ce positionnement tiendra face à la vague populiste qui, ailleurs, continue de gagner du terrain.